6 févr. 2013

Réécris Ton Nhistoire

Leitmotifs, stylo à bille noir sur papier blanc, 50 x 50 cm, 2012


















Détail de Leitmotifs, stylo à bille noir sur papier blanc, 50 x 50 cm, 2012





« Le moi qui subit le temps historique, à l'instant où il accède au mythe «  s'épanche comme une source », c'est à dire, se détruit dans un processus dynamique qui implique sa durée historique. Ainsi, le moi participe véritablement de l'écoulement de l'histoire quand il fini par se confondre avec le cours de sa destruction, et donc avec le cours de son accès au mythe. » 
Rilke in La fête et la machine mythologique, Furio Jesi.

L'amitié est une une affection que j'estime au plus haut point, qui transcende les désirs, les passions, un lien qui se cultive au travers des expériences des amis tant que leur terrain commun, l'entre-tenu, existe. Comme l'amour qui n'est pas quelque chose qui « tombe du ciel » et qui vit parce qu'on amorce une énergie créatrice vers lui, qu'on ne le laisse pas tranquille, l'amitié n'est pas non plus un état mais bien une énergie qui demande à être alimentée.
 
Plusieurs strates existent dans l'amitié, elle a différents aboutissements et différentes sources. L'une d'elle est ce que Aristote qualifiait d'amitié de plaisir, où la recherche du divertissement est la soudure des êtres entre eux. RTN est né de ce type d'expérience et est devenu une sorte de cri de guerre pour quelques amis qui partent boire. Rat Taupe Nul, nous voyons ça comme un hommage aux parasites souterrains qui minent et qui creusent ce que d'autres tentent de faire pousser, de faire tenir debout, de rendre digne. Notre dignité est peut-être ce que nous combattons le plus, refusant de nous fabriquer une belle image de nous-même, nous recherchons à en sortir. La recherche de l'extase est un moteur, la sortie d'un état, d'une identité et d'une temporalité afin de ne pas trop se préoccuper de soi et d'esquiver de temps à autres le tragique écoulement des caractères dans la chronologie des événements. Quand je les porte sur ma poitrine, transférées sur mon sweat, ces trois lettres deviennent un leitmotiv à m'attacher à l'instant, au kaïros, à la tentation d'exprimer ma volonté de puissance en étant simplement un corps sans nom, sans historicité, un bloc de chair en mouvement sans futur ni passé.
 
En groupe, RTN devient davantage un qualificatif pour une attitude que la doxa dénigre : dépasser les limites, tuer tout raisonnement. L'amitié prend alors l'allure d'un bloc, se détachant du monument, pouvant l'observer ou l'ignorer, en tout cas ne plus en être assujetti. Notre tentative est peut-être d'y trouver une rédemption face à l'histoire, à son actualisation, nous risquer à nous rapprocher d'une zoé, une vie nue et intemporelle pour retrouver l'essentiel. Retrouver l'essentiel est, dans notre condition d'éléments d'une polis, tout d'abord revoir ce qui nous rattache à nous-même au sein du groupe. Comme a pu l'observer et l'écrire Furio Jesi, chaque communauté possède ses propres rituels qui la soude autour d'une expérience commune et lui permet de trouver une catharsis. Et Mircéa Eliade de nous éclairer sur la façon dont bon nombre de « sociétés archaïques » n'avaient nullement besoin de chronos et vivaient sur le mode de l'éternel retour, c'est-à-dire s'organisaient de telles façons à revenir régulièrement au mythe fondateur et à l'instant zéro de leur société. Pour cela ils rejouaient chaque année la bataille d'un dieu puissant face au dragon démoniaque ; pour d'autres, le moment de la moisson et les fêtes l'accompagnant suffisaient à les ramener aux premiers instants de la vie sur terre. Nous, nous faisons l'éloge de la folie.