Dimanche 22 juillet 2012 – Ramonville.
21h34. Julien,
Comment peut-on travailler ?
Comment ménager le temps pour ça ? Tu dis que je devrais essayer
d’utiliser mon travail infographique pour réfléchir au support
virtuel. Pour moi le seul support virtuel intéressant serait
d’écrire pour un site internet. Un site en guise de brouillon.
Dans mon rangement d’aujourd’hui, j’ai balancé pratiquement
tout le brouillon manuscrit de mon mémoire, non sans une certaine
difficulté, je l’avoue. Je me demande toujours s’il serait
pertinent de conserver les ébauches, les idées-minutes, les erreurs
aussi. Je ne tolère cet archivage que lorsque les écrits se
trouvent dans un cahier, rassemblés, datés. Les feuilles volantes
me gênent. J’ai commencé à réfléchir à nos lettres, ou plutôt
aux tiennes, à la façon dont j’allais les conserver. Est-ce que
je vais les retranscrire à l’ordinateur ? Ce qui me ferait
évidemment perdre la matérialité de ton écriture qui est pourtant
l’un des sujets principaux de nos échanges. J’ai un attachement
certain à ces pages noircies, ces lignes, cette graphie, ce rapport
très direct à la pensée. Pourtant, je serais contre l’idée de
montrer des pages manuscrites (de quelques manières que ce soit). Il
y a un côté tellement précieux, un aspect «reliques» qui me
bloque, alors même que ce qui m’intéresse est, précisément, ce
lien avec le corps, avec le geste, l’action physique. Comment faire
la part des choses entre le fond et la forme? Dans ta dernière lettre,
tu parles de la contrainte que constitue l’écriture nouvelle que
tu éprouves. Le fond et la forme deviendraient équivalentes car
relèveraient finalement du même degré d’attention. Quand je
recopiais des textes en les transcrivant en phonétique, j’avais
justement décidé de nier totalement le fond, ma seule intention
était d’écrire de ma main, l’équivalent d’un livre de poche
d’environ 200 pages. Ainsi mon corps et mes yeux ont éprouvés
cette quantité, ce volume, mais pourtant, je n’avais rien écrit
de moi-même, à peine avais-je produis une sélection de textes
(mais nulle puisque illisible). Serait-il possible que le statut de
nos lettres se rapproche de cela ? Comment séparer le fond de la
forme ? Comment puiser dans l’un et dans l’autre ? Cette écriture
est-elle à lire ? Est-elle à regarder ? Ou ne serait-elle
uniquement qu’à échanger ? Plus j’y pense, et plus je me dis
que ces lettres ne devront jamais être montrées. Elles ne sont pas
une fin en soi, mais un moyen d’entretenir (à
deux) un lien à
l’écriture. À
la fois au fait d’écrire comme dépôt d’une pensée et comme
exercice d’une graphie (particulièrement dans ton cas). Ce qui est
important c’est l’échange des lettres, le contenu n’a aucune
importance. À
ceci près qu’il ne s’agit pas de cartes postales qui font état
de nos vacances, ni de lettres d’amour. Le contenu est quelconque
parce qu’il n’est pas réellement adressé. Il est juste rendu
disponible, pour une seule personne, comme un terrain commun ou comme
un objet que l’on se fait passer. L’espace recto d’une feuille
A4, de la même feuille A4 que l’on s’entête à remplir par jeu.
Je t’envoie des pages davantage que des lettres. Je t’envoie des
pages remplies et des pages vides. Je t’envoie du papier blanc,
standard, disponible et tellement quelconque. Je me demande si je
dois écrire jusqu’au bas de la page pour respecter le protocole.
Je me demande si je ne ferais pas mieux de remplir cette feuille d’un
bel aplat au bic noir, un bon coloriage comme je les aime. Mais non.
Je ne ferai plus cela. Je pense qu’on s’est écrit suffisamment
de lettres pour pouvoir penser au statut qu’elles doivent tenir
pour la suite. Ce n’est pas un brouillon, mais ce n’est pas non
plus une fin en soi. Le contenu ne compte pas, mais il est important
de dire ce qui y est contenu. L’écriture n’est ni montrable, ni
transcriptible, ni reproductible, ni à jeter. (Et pourtant, comme
j’aimerais une belle série de feuilles A4 bien placées en grille
sous verre à la Susan Hiller !)
22h12, à très vite,
Leslie.