Mardi 07 août 2012 – Ramonville
Julien,
Notre correspondance est en effet le
terrain d’une expérimentation, de l’exercice d’un maintien qui
est comme une course de fond, un vrombissement contenu et dense qu’il
faudrait apprendre à lâcher en des moments précis, choisis.
L’image du serpent est très bien trouvée. Elle m’évoque tout
le paradoxe des mouvements immobiles, préparés, sur le départ.
Pourtant, une fois de plus, j’insiste sur la nécessité de ne pas hiérarchiser les moments d’entraînement et les moments supposés
de fulgurance, de jaillissement de la forme. Nos lettres sont un
objet de relecture pour nous-mêmes, un appui, construit dans la
répétition. Mais notre exercice peut être également considéré
comme un objet sans retour. Plus j’écris, plus j’y trouve une
certaine facilité, une certaine souplesse. Nous travaillons notre
souplesse en vue de
la transférer sur d’autres gestes. Nous nous maintenons
mutuellement éveillés afin de pouvoir saisir les choses.
Je pense que nous pourrions réfléchir à
adapter nos formes d’entretiens (ou d’échanges) en fonction de
l’état de notre espacement mutuel. J’aime la forme épistolaire
que nous déployons en ce moment car l’aspect quotidien en est
intrinsèque en raison du dispositif auquel nous nous trouvons
contraints, à savoir le service postal, ne permettant qu’un seul
envoi par jour (en principe). J’inscris ainsi le temps d’écriture
dans ma journée, etc. Cela dit je ne verrais pas spécialement
l’intérêt de poursuivre ce processus à la fin de l’été
lorsque tu seras rentré à Bordeaux et que (je l’espère) nous
pourrons nous retrouver toutes les semaines. Je sais que j’aurai
envie de continuer cette recherche mouvante et systématique qui et
la nôtre. Je pense que nous pourrions déplacer le support vers le
numérique (blog, site, mails) et réfléchir ainsi à ces objets qui
nous donnaient tant de scrupules au début de notre protocole
d’écriture manuscrite. J’ai repensé à ton blog de respirations
et je t’encourage de nouveau à le faire. J’ai pensé aussi que
nous pourrions nous essayer aussi à une forme d’écriture orale.
En entendant parler à la radio de Montaigne qui dictait ses “Essais”
à un scribe plutôt que d’en rédiger le premier jet de sa main,
j’ai pensé que cela pouvait devenir une autre manière de
s’émanciper d’une forme de constructivisme de l’écriture,
vers une plus grande liberté de mouvement, et un rapport plus direct
aux choses. Un entraînement comparable à celui qui advient dans nos
lettres permettrait l’apparition de ce processus. Rien ne nous
empêcherait de consigner cette écriture orale par des
enregistrements ou encore des retranscriptions. (Comme tu le dis, une
petite étude un peu plus poussée en poésie contemporaine, ce
serait pas du luxe. Je crois qu’il va falloir rendre plus souvent
visite à l’ami Barthes également).
Tout ça pour dire que nous devons adapter nos supports à
l’amplitude de nos corps et envisager les nouvelles formes qui nous
accompagnerons après celle-ci (qui n’a, d’ailleurs aucune raison
de cesser). J’aurais encore besoin de tes lectures attentives comme
garant et moteur de mon écriture. Seul le fait que les lettres te
soient adressées me donne la propension d’écrire et me libère de
la tentation d’un repentir (rejeter certaines idées, retoucher la
forme, etc.) Et plus sérieusement, imagine un bon gros pavé composé
de plusieurs formes d’échanges possibles entre nous influencées
par nos postures ou emplacements respectifs et l’un par rapport à
l’autre...
à
toi, toi Leslie.