18 nov. 2012

34/63 et 35/63

Mardi 07 août 2012 – Ramonville

     Julien,
    Notre correspondance est en effet le terrain d’une expérimentation, de l’exercice d’un maintien qui est comme une course de fond, un vrombissement contenu et dense qu’il faudrait apprendre à lâcher en des moments précis, choisis. L’image du serpent est très bien trouvée. Elle m’évoque tout le paradoxe des mouvements immobiles, préparés, sur le départ. Pourtant, une fois de plus, j’insiste sur la nécessité de ne pas hiérarchiser les moments d’entraînement et les moments supposés de fulgurance, de jaillissement de la forme. Nos lettres sont un objet de relecture pour nous-mêmes, un appui, construit dans la répétition. Mais notre exercice peut être également considéré comme un objet sans retour. Plus j’écris, plus j’y trouve une certaine facilité, une certaine souplesse. Nous travaillons notre souplesse en vue de la transférer sur d’autres gestes. Nous nous maintenons mutuellement éveillés afin de pouvoir saisir les choses.
     Je pense que nous pourrions réfléchir à adapter nos formes d’entretiens (ou d’échanges) en fonction de l’état de notre espacement mutuel. J’aime la forme épistolaire que nous déployons en ce moment car l’aspect quotidien en est intrinsèque en raison du dispositif auquel nous nous trouvons contraints, à savoir le service postal, ne permettant qu’un seul envoi par jour (en principe). J’inscris ainsi le temps d’écriture dans ma journée, etc. Cela dit je ne verrais pas spécialement l’intérêt de poursuivre ce processus à la fin de l’été lorsque tu seras rentré à Bordeaux et que (je l’espère) nous pourrons nous retrouver toutes les semaines. Je sais que j’aurai envie de continuer cette recherche mouvante et systématique qui et la nôtre. Je pense que nous pourrions déplacer le support vers le numérique (blog, site, mails) et réfléchir ainsi à ces objets qui nous donnaient tant de scrupules au début de notre protocole d’écriture manuscrite. J’ai repensé à ton blog de respirations et je t’encourage de nouveau à le faire. J’ai pensé aussi que nous pourrions nous essayer aussi à une forme d’écriture orale. En entendant parler à la radio de Montaigne qui dictait ses “Essais” à un scribe plutôt que d’en rédiger le premier jet de sa main, j’ai pensé que cela pouvait devenir une autre manière de s’émanciper d’une forme de constructivisme de l’écriture, vers une plus grande liberté de mouvement, et un rapport plus direct aux choses. Un entraînement comparable à celui qui advient dans nos lettres permettrait l’apparition de ce processus. Rien ne nous empêcherait de consigner cette écriture orale par des enregistrements ou encore des retranscriptions. (Comme tu le dis, une petite étude un peu plus poussée en poésie contemporaine, ce serait pas du luxe. Je crois qu’il va falloir rendre plus souvent visite à l’ami Barthes également).
Tout ça pour dire que nous devons adapter nos supports à l’amplitude de nos corps et envisager les nouvelles formes qui nous accompagnerons après celle-ci (qui n’a, d’ailleurs aucune raison de cesser). J’aurais encore besoin de tes lectures attentives comme garant et moteur de mon écriture. Seul le fait que les lettres te soient adressées me donne la propension d’écrire et me libère de la tentation d’un repentir (rejeter certaines idées, retoucher la forme, etc.) Et plus sérieusement, imagine un bon gros pavé composé de plusieurs formes d’échanges possibles entre nous influencées par nos postures ou emplacements respectifs et l’un par rapport à l’autre...
à toi, toi Leslie.