10/08/2012
Léon
Leslie,
“une course de fond”, “un
vrombissement contenu et dense”, “le paradoxe des mouvements
immobiles, préparés, sur le départ”.
J’aime que tu compares très souvent
l’art au sport, voire à la mécanique (vrombissement), en tout cas
à la préparation au moment du lâcher d’énergie dans le temps
kaïrologique. Comme si, pendant tout ce temps consacré à travailler
nous maintenions notre souffle, nous l’entraînions, nous musclons
nos alvéoles pulmonaires comme nos alvéoles temporelles. N’est-ce
pas d’ailleurs un ré-apprentissage de nos années d’adolescence
où chaque soir, religieusement, nous maintenions notre journal ?
T’écrire est le seul moment de la
journée où je me sens intelligent. L’autre jour, j’ai entendu
deux gars venant de finir une partie de billard et l’un disait à
l’autre : “c’est en jouant avec meilleur que soi qu’on
progresse”. Du coup, comme lui, je ressens le besoin, sinon d’être
avec meilleur, au moins d’être avec un égal, j’entends sur le
plan artistique et philosophique, car très vite j’ai peur de
“perdre”, comme on “perd” à force de ne pas s’entraîner.
Mais il y a une preuve, à mes pieds, que je m’entraîne
régulièrement avec toi. Sous mon pied de chaise avant-droit, un
trou s’est fait dans le lino et même le plancher, ça me rappelle
que je prends souvent appui ici, à ma table.
En tout cas j’ai de plus en plus l’impression de me
vider, que le travail m’absorbe et environnement aussi,
toujours entouré par le travail. Le travail est une pieuvre acéphale
qui nous emprisonne tous, étant la nécessité sociale pour créer
le sentiment de survie.
En ce moment je suis toujours indéterminé
à savoir si je suis encore sur la ligne de départ ou si j’ai déjà
passé la ligne d’arrivée, si je suis en train de finir essoufflé
ou encore tendu, sur les starting-blocks ? Ou suis-je alors en plein
cheminement ? Mais à quel niveau du parcours je n’en sais rien.
Toujours est-il que prendre ce temps de l’écrit t’étant destiné
est une bouffée d’oxygène sur ma course.
À
toi, Julien