18 nov. 2012

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10/08/2012
Léon

     Leslie,
    “une course de fond”, “un vrombissement contenu et dense”, “le paradoxe des mouvements immobiles, préparés, sur le départ”.
     J’aime que tu compares très souvent l’art au sport, voire à la mécanique (vrombissement), en tout cas à la préparation au moment du lâcher d’énergie dans le temps kaïrologique. Comme si, pendant tout ce temps consacré à travailler nous maintenions notre souffle, nous l’entraînions, nous musclons nos alvéoles pulmonaires comme nos alvéoles temporelles. N’est-ce pas d’ailleurs un ré-apprentissage de nos années d’adolescence où chaque soir, religieusement, nous maintenions notre journal ?
     T’écrire est le seul moment de la journée où je me sens intelligent. L’autre jour, j’ai entendu deux gars venant de finir une partie de billard et l’un disait à l’autre : “c’est en jouant avec meilleur que soi qu’on progresse”. Du coup, comme lui, je ressens le besoin, sinon d’être avec meilleur, au moins d’être avec un égal, j’entends sur le plan artistique et philosophique, car très vite j’ai peur de “perdre”, comme on “perd” à force de ne pas s’entraîner. Mais il y a une preuve, à mes pieds, que je m’entraîne régulièrement avec toi. Sous mon pied de chaise avant-droit, un trou s’est fait dans le lino et même le plancher, ça me rappelle que je prends souvent appui ici, à ma table.
     En tout cas j’ai de plus en plus l’impression de me vider, que le travail m’absorbe et environnement aussi, toujours entouré par le travail. Le travail est une pieuvre acéphale qui nous emprisonne tous, étant la nécessité sociale pour créer le sentiment de survie.
En ce moment je suis toujours indéterminé à savoir si je suis encore sur la ligne de départ ou si j’ai déjà passé la ligne d’arrivée, si je suis en train de finir essoufflé ou encore tendu, sur les starting-blocks ? Ou suis-je alors en plein cheminement ? Mais à quel niveau du parcours je n’en sais rien. Toujours est-il que prendre ce temps de l’écrit t’étant destiné est une bouffée d’oxygène sur ma course.
À toi, Julien