“Sois l’homme
que tu seras demain”
Leslie,
J’ai passé quatre ans aux Beaux
Arts durant lesquels, souvent en revenant de l’été et émancipé
de l’influence de mes amis, les questions de relations humaines et
de convivialité m’interrogeaient beaucoup. Chaque fois sans suite
jusqu’à l’an passé, coïncidant avec notre “rencontre”
étrangement. Il m’a fallu tout ce temps pour découvrir que je
n’étais pas “traditionnel” et je crois que pour moi-même j’ai
encore à l’assumer. Tu m’as fait découvrir la performance
contemporaine, et sans toi, je crois que je me noierais encore dans
la sculpture. J’ai besoin d’un travail qui me rapproche des gens
et qui aille de paire avec mes raisonnements intérieurs sur la vie,
le partage, le soin, que l’art ait un effet de réalité et non de
représentation. Pour moi, l’art a toujours rimé avec éducation
ou prise de conscience. Je crois que mon diplôme était une suite de
mon mémoire où je n’ai cessé de dire l’importance de l’autre,
tant dans des questions d’apport et de soin mutuel que dans la
légèreté. Je crois que ces questions d’apport expliquent mon
goût de la citations, de la référence et du story-telling (souvent problématique quand je
parle de mon travail). Si “le langage est une suite de citations”,
pour une question d’honnêteté, mal placée sans doute, j’ai
toujours besoin de citer mes sources, même si elles proviennent de
mes amis. J’en arrive alors à cette question qui me taraude,
celle d’un “apprentissage” basé sur le partage des expériences
individuelles et collectives, d’éduquer et d’être éduqué par
ses amis.
Je pensais aux journées d’études, aux colloques
ou à d’autres moments d’exceptions basés
sur le dialogue, mais justement en souhaitant les extraire de leur
condition exceptionnelle pour en faire un “cours” à part
entière. Où les élèves feraient part de leurs goûts,
expériences, lectures, au même titre que le professeur. J’avais
eu l’envie il y a quelques années, de constituer une bibliothèque
à partir de nos lectures, des films et musiques, à nous étudiants,
aussi “high” que “low culture” soient-ils, afin de créer un
pont, un terrain d’entente culturelle entre nous étudiants et les
visiteurs occasionnels (jpo, concours, etc.) afin de rendre compte
que la culture, l’idée, l’inspiration, proviennent aussi des
choses de la culture commune et populaire, pas uniquement des traités
d’art et de philosophie. Je n’aime pas l’idéalisation que l’on
peut avoir du savoir et des gens qui soi-disant le détiennent, et
mon désir est de pouvoir dire que le savoir est disponible à tous
et également accessible. Rêve sans doute je l’admets. Mais enfin,
si le savoir n’avait pas cet effet fascinant, si l’on cessait de
ne l'accoler qu’au labeur et un peu plus au plaisir, en
réaffirmant qu’il n’y a pas de “bon” et de “mauvais”
savoirs, ni d’erreurs, mais que l’essentiel est de penser sur ce
qui est et peut être, je m’autorise de rêver que l’on serait
tous beaucoup plus épanouis, et libres aussi. “l’esprit est
comme un parachute...” n’est-ce-pas ? C’est aussi partir du
constat que les réflexions de chacun, les goûts et les loisirs,
sont intéressants, en tout cas ne sont pas nuls. C’est pour ça
que j’aime que tu me parles d’”Harry Potter” par exemple, ça
peut paraître trop “low” mais ça te fait réfléchir et stimule
ton imaginaire, c’est génial, c’est le plus important en tout
cas.
Je sais que mon désir est un désir partagé par plein
d’autres, la dé-hiérarchisation des savoirs, la mort du clivage
maître et ignorant... Que l’école redevienne une place publique
et non un autre espace d’enfermement et de contrôle. Je pense
beaucoup à cette idée de “contre-public” que je ne saisis pas
encore bien mais qui m’obsède, je réfléchis alors à une forme
pour mon envie qui sortirait d’un lieu mandaté pour ça et de,
justement, me constituer un public qui pourrait grossir et se
diversifier avec le temps. Un vrai terrain de dialogue et d’étude
où chacun aurait sa voix et serait écouter sans méfiance. Je te
livre là un embryon d’idée, mais si, comme tout le reste, j’y
reste suffisamment accroché, pourrait voir le jour dans un futur
proche, je l’espère.
De toute façon mon désir n’est pas d’inventer mais
bien de participer et de perpétuer le rêve que d’autres partage
et actent.
Je t’encourage, te soutiens pour ton nouveau
“être-sur-le-départ” et je serais avec joie ton “répondant”.
L’essentiel est de ne pas s’arrêter, alors continuons avec
ardeur à développer ces idées qui nous sont chères, restons
déterminés! J’ai rarement, en fait jamais, eu si bon
interlocuteur que toi et oui, je veux être ton “co-équipier”,
avancer avec toi. Et ami, c’est sûr, au-delà de tout, nous
l’avons toujours été. Je ne me suis jamais senti aussi proche de
quelqu’un avant toi.
Je t’embrasse,
Julien