18 nov. 2012

60/63 et 61/63

Vendredi 31 août 2012 – Ramonville

     Mon Cher Julien,
    Voici comment commence la dernière lettre que je vais t’envoyé cet été. Mon dernier geste vers cet endroit où tu te trouves. J’ai encore du mal à discerner tout ce qu’on a pu se dire depuis deux mois. Dans ta dernière lettres, tu dis que nous allons pouvoir revenir sur nos tics de langage et nos lexiques. J’ai vraiment très envie de travailler là-dessus, pouvoir traquer toutes nos complications, les analyser et les clarifier. Créer un langage quelconque, un mode d’échange quelconque, encore plus difficile et riche à penser car élaboré à deux par l’expérience commune.
Pour ce qui est des questions d’apprentissage, la respiration m’intéresse aussi, car c’est une façon de travailler sur son corps comme l’est l’entraînement sportif. Exercices de respiration (ou méditation si tu veux bien m’apprendre) ou sport sont encore des activités trop utiles pour moi-même. Elles sont encore un peu trop intérieures (même si j’ai très envie de les pratiquer). J’aimerais apprendre à faire quelque chose qui ne sois pas seulement pour moi. J’aime bien ton idée de connaissance-boîte-à-outils, et de l'outil inutile qu’il nous faudra porter sur nous comme un assistant négatif (dans le bon sens évidemment). Je sais qu’on va bientôt pouvoir parler de tout ça de vive voix, j’ai vraiment hâte de ça.
     Est-ce que cette dernière lettre est la fin et donc le commencement de quelque chose? Se situe-t-on ici dans l’un de ces moments insaisissables où rien ne change mais que tout bascule? Je repense souvent à la semaine de diplômes qu’on a passé ensemble, j’ai l’impression d’avoir été complètement dans le flou et pourtant j’aurais bien aimé être attentive à la transition qui s’est opérée. Quand une étape est franchie, j’ai tendance à regarder en arrière avec un certain dédain, comme si ce qui a été accompli est forcément moins bien que ce qui viendra. Ça peut paraître logique et naturel mais dans le fond ça ne me plaît pas beaucoup comme façon de penser. Cela dit, avec notre projet des lettres, je sais que leur rédaction et leur échange n’était qu’une étape, certes cruciale, avant ce qui va suivre. Le temps d’échange réel et d’entretiens est l’équivalent par exemple de mon voyage à Bruxelles, ce qui a suivi aura été la rédaction du mémoire, et c’est dans ce temps, qu’on pourrait penser moins important, moins primordial que le temps effectif du déplacement, c’est dans ce temps d’écriture que j’ai compris ce qui s’était passé au cours du voyage. Le temps du recul est le temps de la révélation, il est comme le sprint relativement à l’entraînement. Je crois que note temps de travail est ainsi scandé entre sprint et entraînement avec également les moments d’épuisement, d’essoufflement qui sont aussi importants et dignes d’attention que tout le reste.
La totalité de notre protocole sur deux mois serait un entraînement, pourtant je considère aussi chaque lettre que j’ai rédigée comme un sprint. D’abord parce que j’ai chaque fois disposé d’un temps très court, volé à l’enchaînement d’activités réduites mais envahissantes que j’effectue chaque jour, et aussi parce que l’écriture est le moment et l’espace de la révélation, d’apparition des mots qui existent en suspend dans la tension de l’attente et la distance des échanges. Comparer sport et méthode m’aide et m’intéresse beaucoup et de même je pense que pratiquer et réfléchir à la “respiration” sera un moyen d’extraire un autre vocabulaire et d’autres modes d’écriture peut-être plus prècis, puisque la respiration est elle-même une donnée importante, parmi d’autres, des pratiques sportives.
     Cette dernière lettre et comme une petite fête d’adieu à ce support, à cette feuille blanche que j’ai partagée avec toi comme un lieu de vie commun. (S’écrire a été une façon de vivre ensemble et j’ai hâte d’en découvrir d’autres). C’est comme s’il n’y avait eu finalement qu’une seule page A4 pendant deux mois qui aurait été notre appartement, notre abri, l’endroit aménagé et privilégié de ce qui compte vraiment. Chaque mot, chaque idée, chaque concept et même chaque tic de langage, sont autant de meubles que nous avons installés et déplacés à deux, chez nous (dans notre écriture à deux). J’ai l’impression de saisir la notion “d’habiter” sous un jour nouveau, le nôtre.
Toujours à toi, Leslie.