Vendredi 31 août 2012 – Ramonville
Mon Cher Julien,
Voici comment commence la dernière lettre
que je vais t’envoyé cet été. Mon dernier geste vers cet endroit
où tu te trouves. J’ai encore du mal à discerner tout ce qu’on
a pu se dire depuis deux mois. Dans ta dernière lettres, tu dis que
nous allons pouvoir revenir sur nos tics de langage et nos lexiques.
J’ai vraiment très envie de travailler là-dessus, pouvoir traquer
toutes nos complications, les analyser et les clarifier. Créer un
langage quelconque, un mode d’échange quelconque, encore plus
difficile et riche à penser car élaboré à deux par l’expérience
commune.
Pour ce qui est des questions d’apprentissage, la
respiration m’intéresse aussi, car c’est une façon de
travailler sur son corps comme l’est l’entraînement sportif.
Exercices de respiration (ou méditation si tu veux bien m’apprendre)
ou sport sont encore des activités trop utiles pour moi-même. Elles
sont encore un peu trop intérieures (même si j’ai très envie de
les pratiquer). J’aimerais apprendre à faire quelque chose qui ne
sois pas seulement pour moi. J’aime bien ton idée de
connaissance-boîte-à-outils, et de l'outil inutile qu’il nous
faudra porter sur nous comme un assistant négatif (dans le bon sens
évidemment). Je sais qu’on va bientôt pouvoir parler de tout ça
de vive voix, j’ai vraiment hâte de ça.
Est-ce que cette dernière lettre est la
fin et donc le commencement de quelque chose? Se situe-t-on ici dans
l’un de ces moments insaisissables où rien ne change mais que tout
bascule? Je repense souvent à la semaine de diplômes qu’on a
passé ensemble, j’ai l’impression d’avoir été complètement
dans le flou et pourtant j’aurais bien aimé être attentive à la
transition qui s’est opérée. Quand une étape est franchie, j’ai
tendance à regarder en arrière avec un certain dédain, comme si ce
qui a été accompli est forcément moins bien que ce qui viendra. Ça
peut paraître logique et naturel mais dans le fond ça ne me plaît
pas beaucoup comme façon de penser. Cela dit, avec notre projet des
lettres, je sais que leur rédaction et leur échange n’était
qu’une étape, certes cruciale, avant ce qui va suivre. Le temps
d’échange réel et d’entretiens est l’équivalent par exemple
de mon voyage à Bruxelles, ce qui a suivi aura été la rédaction
du mémoire, et c’est dans ce temps, qu’on pourrait penser moins
important, moins primordial que le temps effectif du déplacement,
c’est dans ce temps d’écriture que j’ai compris ce qui s’était
passé au cours du voyage. Le temps du recul est le temps de la
révélation, il est comme le sprint relativement à l’entraînement.
Je crois que note temps de travail est ainsi scandé entre sprint et
entraînement avec également les moments d’épuisement,
d’essoufflement qui sont aussi importants et dignes d’attention
que tout le reste.
La totalité de notre protocole sur deux mois serait un
entraînement, pourtant je considère aussi chaque lettre que j’ai
rédigée comme un sprint. D’abord parce que j’ai chaque fois
disposé d’un temps très court, volé à l’enchaînement
d’activités réduites mais envahissantes que j’effectue chaque
jour, et aussi parce que l’écriture est le moment et l’espace de
la révélation, d’apparition des mots qui existent en suspend dans
la tension de l’attente et la distance des échanges. Comparer
sport et méthode m’aide et m’intéresse beaucoup et de même je
pense que pratiquer et réfléchir à la “respiration” sera un
moyen d’extraire un autre vocabulaire et d’autres modes
d’écriture peut-être plus prècis, puisque la respiration est
elle-même une donnée importante, parmi d’autres, des pratiques
sportives.
Cette dernière lettre et comme une petite
fête d’adieu à ce support, à cette feuille blanche que j’ai
partagée avec toi comme un lieu de vie commun. (S’écrire a été
une façon de vivre ensemble et j’ai hâte d’en découvrir
d’autres). C’est comme s’il n’y avait eu finalement qu’une
seule page A4 pendant deux mois qui aurait été notre appartement,
notre abri, l’endroit aménagé et privilégié de ce qui compte
vraiment. Chaque mot, chaque idée, chaque concept et même chaque
tic de langage, sont autant de meubles que nous avons installés et
déplacés à deux, chez nous (dans notre écriture à deux). J’ai
l’impression de saisir la notion “d’habiter” sous un jour
nouveau, le nôtre.
Toujours à toi, Leslie.