17 nov. 2012

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Dimanche 8 juillet 2012 – Ramonville Saint-Agne

     Julien,
     Je répond à ta lecture de ma lettre, et non pas à ta lettre répondant à la mienne puisque tu ne l’as pas encore postée. C’est finalement un peu comme cette histoire de protocole à l’aveugle dont on avait discuté au départ. Puisque là, je te répond sans avoir lu ta lettre et que nous posterons chacun la nôtre probablement au même moment. Si nous procédions ainsi il y aurait donc deux niveaux d’échanges : un aveugle et un... que pourrait-on dire ? Disons un conscient ou alors un littéral. Le littéral influencerait petit à petit l’aveugle. Mais aveugle n’est pas non plus le mot qui convient. C’est un échange moins influencé, moins direct et en même temps plus spontané... célibataire peut-être.
     Je choisis donc de nommer ainsi ces deux niveaux d’échange : l’échange littéral (ou réciproque ?) et l’échange célibataire. Je choisis également de ne pas te faire part de tout ceci par un autre moyen de communication. Mon ajout au protocole sera donc éprouvé par l’action même.

     À propos de mon rangement du moment : j’ai commencé le classement de ma bibliothèque. Ce classement sera avant tout une liste. Liste (probablement alphabétique) de tous les livres qui se trouvent en ma possession. Mais cette possession ne doit pas rimer avec archive, conservation ou quelconque pesanteur, charge, balise. Tu sais comme j’ai du mal à me séparer de l’objet-livre et c’est un problème notamment dans ma volonté de penser le délestement ou le déplacement. Je pense qu’une personne est, à tous les niveaux, consciemment ou pas, dans le lire ou le non-lire (you know what I mean), constituée par sa bibliothèque (quel que soit le sens, physique ou mental qu’on met derrière) et même constituée par la constitution (ou non constitution) de sa bibliothèque. Enfin l’idée est donc de tenir cette liste tout en lui associant un état de déplacement (ou non déplacement) de chaque livre. J’ai déjà vendu quatre de mes livres mais ils ne s’effacent pas pour autant de la liste. Je peux les vendre, les donner, les abandonner quelque part...
Le livre pèse entre mes doigts lorsque je le lis et puis ne se déplace plus que dans le jeu entre mémoire et oubli. Je le maintient et puis je le lâche.

     Je me demande si j’ai pas eu envie de mettre en place toute cette histoire de protocole épistolaire juste pour recevoir une lettre d’un garçon pour la première fois de ma vie.

     Que doit-on attendre de ces lettres ? Je me demande ce que ça fait d’en recevoir une. J’ai du mal à me projeter au-delà du sentiment. Écrire de cette façon me rappelle énormément de lettres que j’ai pu rédiger sans volonté de les envoyer. Du coup je repense à cette idée de ne pas lire certaines lettres, de ne pas tout lire.
Si je suis dans l’échange célibataire, là j’écris pour moi-même, à moi-même. Alors pourquoi j’ai envie de l’envoyer celle-là ? Pour qui ?

Leslie.