Le 29/07/2012 à Léon,
Chère Leslie,
Quand je te lis j’entends ta voix, du moins la mémoire
que j’ai de ta voix qui n’est pas exactement la tienne, mais un
souvenir idéalisé, ta voix avec une certaine émotion. J’entends
un timbre particulier, qui n’est pas ta voix en général,
j’entends la voix que tu as quand tu me parles dans nos moments les
plus intimes. Dans les courriers comme les nôtres, quelle proportion
de thymique passe alors même que nous somme capables d’une
certaine emphase durant la rédaction? J’écris souvent en pensant
que d’autres que toi pourraient lire ces lettres alors je limite la
part de sentiment que j’y mets, ou du moins je le transfigure au
travers des concepts que je développe. Ce ne sont pas des lettres
d’amour et pourtant c’est quand même mon amour pour toi qui
guide une grande part de ce que je dis, qui guide mon implication.
Je me rappelle Adorno disant que l’amour est un travail, qui ne
tombe pas du ciel. Dans notre cas ici, c’est notre amour qui
produit un travail et ce travail est comme un geste de maintien et
d’écologie de nos sentiments respectifs l’un envers l’autre.
Je pensais à la graphologie à propos de notre travail,
qui décoderait justement la thymique de notre graphie, et je me
demandais alors comment procéderait-on pour analyser mon écriture,
étant donné qu’elle est peu spontanée, qu’elle est l’objet
d’une réflexion? En même temps, tu sembles penser à ton écriture
autant que moi, alors je pense en effet que l’on pourrait dégager
une analyse. Ce n’est pas mon envie, c’est simplement un point
qui ne peut être négligé.
Tu parles, à propos d’une communication instantanée,
de la télépathie, concept, possibilité avec laquelle tu as encore
du mal, ce que je comprend. Pour l’entrelacement j’y ai
évidemment beaucoup pensé, car il y a cette idée d’un langage
sans parole, mais la différence est que l’entrelacement naît de
l’habitude qu’on partage, ainsi que des sentiments et affinités
profondes qui nous lient. C’est une forme de télépathie
exclusive, ce n’est pas que l’information qui est transmise,
c’est tout l’attachement à notre ami. L’entrelacement, je le
comparais formellement à l’ADN, et je pense que, comme l’ADN se
modifie en fonction de l’expérience, l’entrelacement serait la
mesure du lien qui s’est inscrit, arraisonné en nous et qui nous
tient, nous relie malgré la distance comme les tiges A,C,T,G entre
les branches de l’ADN. Alors évidemment, avec toi, quand j’écris,
et ce moment déborde avant et après, comme le temps du départ et
celui du retour... Je me sens au plus proche de toi, je me sens me
confondre comme si tu étais penchée sur la page en même temps que
moi, comme un double, une partie de ce qui me constitue. Ça fait
suffisamment longtemps que nous nous “fréquentons” pour que tu
sois “inscrite” dans mon ADN. Cela formerait une symbiose qui
fait que oui, je me sens très souvent autant toi que moi.
Mais le besoin d’entendre le son de ta voix est toujours
présent, car la personne que j’aime n’est pas à l’intérieur
de moi mais bien plutôt en face, c’est là que je peux comprendre
l’ex-tase de l’amour, où l’agencement que l’on projette nous
fait face et que nous sortons de soi pour aller aimer cette altérité
qui revient, alors que jusqu’ici nous ne faisions que nous la
rêver.
À
toute ta belle existence,
Julien