17 nov. 2012

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Mardi 17 juillet 2012 – Ramonville


     Julien,
    À la lecture de tes deux dernières lettres, que j’ai reçues simultanément ce matin, je me dis que ce travail sur la graphie va être intéressant à la fois pour penser le geste, l’habitude et aussi la question de l’entraînement. Quand je réfléchis aux différents mécanismes de constitution d’une écriture manuscrite, je continue de penser qu’il s’agit avant tout de dessin. Ce “tracé réfléchi et non automatique” dont tu parles est précisément ce que j’aimerais revendiquer quant à ma pratique du dessin. Il me faut pervertir mon geste, ma technique afin de pouvoir la penser à nouveau. Comment pervertir mon geste, mes gestes au sein desquels s’est déposé une confiance sûre et lisse, une simplicité ? Il me semble évident que mon entraînement doit se déplacer ; je dois changer d’outils, abandonner ce que je tiens à présent entre mes doigts, dans mes doigts, mes yeux, ma tête et le muscle de mon bras. Il faut m’aventurer un tendon plus loin.
     Je remarque une évolution très nette de la graphie entre tes deux lettres. Si la première est, évidemment mal assurée, la deuxième a quelque chose de physiquement appuyé. Le geste est comme crispé et les lettres sont profondément inscrites, gravées dans le papier. L’écriture semble marquer le papier proportionnellement au poids, à l’intensité de l’effort, de la concentration (ou de l’attention). Je repense à mes premières utilisations du stylo-à-bille dans mes dessins, puis aux progrès que j’ai effectués “sans fin”, par la seule pratique répétitive. Mon geste a habité le terrain de la feuille de papier jusqu’à presque s’en détacher, ne s’y inscrivant qu’à peine. Le geste, dans mes doigts et à travers mon outil, est désormais un geste en soi, indépendant de tout support. Je pourrais le faire, ne pas le faire. Ces deux actions sont désormais équivalentes.

     Bien à toi, Leslie.