02/08/2012, Léon
Leslie,
Melville me donne une certaine amertume, toujours quand il
s’agit de l’océan, cette immensité est propice aux rêves mais
aussi aux mélancolies, à l’envie de vivre l’extraordinaire mais
aussi à la désespérance du monde terrestre.
Notre correspondance n’est ni terrestre ni océanique,
je dirais qu’elle est aérienne. Quand je t’écris, l’observation
du ciel est importante, et puis je me projette en même temps, par
imagination, vers le lieu où j’aimerais me trouver, c’est-à-dire
Ramonville, avec toi. L’air a quelque chose de projetant, on
imagine son aimé, le nez en l’air, on peut se détacher de notre
amarrage inconfortable. L’océan, lui, nous renvoie à notre
mélancolie, notre solitude. Personnellement c’est un lieu, un
élément, que je ne voudrais arpenter que le plus seul du monde,
l’océan n’est pas un espace qui attache à l’autre, c’est un
élément qui nous absorbe individuellement, pourquoi ? Alors que
l’air lui, semble nous rattacher à tous ceux qui nous manque,
comme s’ils étaient de l’autre côté du ciel. Je décide que
cette feuille est un morceau d’air, un morceau d’air que l’on a
touché tous les deux, que tu as touché la première et que tu seras
la dernière à toucher.
Je pensais à la respiration il y a peu et je me disais
qu’on partage tous un oxygène commun. Est-ce qu’avec l’aide
des vents, se peut-il qu’on ait déjà, depuis un mois, partagé le
même litre d’air ? Victor Hugo parle de poissons de l’air, si
légers qu’ils en seraient invisibles, comme des méduses ou des
poulpes plus légers que l’air et qui vivraient tout à fait
tranquilles, ininquiétés. Pour un condor ou un goéland, 300
kilomètres ne représentent rien, c’est un territoire à l’échelle
de leurs ailes, ils y trouvent de quoi nourrir leur appétit et celui
de leurs petits.
J’aime à penser que ces lettres sont de l’air
solidifié que l’on se donne chacun pour respirer, comme si l’on
partageait la même bouteille d’oxygène.
Respire bien. À
toi. Julien