17 nov. 2012

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02/08/2012, Léon

     Leslie,
     Melville me donne une certaine amertume, toujours quand il s’agit de l’océan, cette immensité est propice aux rêves mais aussi aux mélancolies, à l’envie de vivre l’extraordinaire mais aussi à la désespérance du monde terrestre.
    Notre correspondance n’est ni terrestre ni océanique, je dirais qu’elle est aérienne. Quand je t’écris, l’observation du ciel est importante, et puis je me projette en même temps, par imagination, vers le lieu où j’aimerais me trouver, c’est-à-dire Ramonville, avec toi. L’air a quelque chose de projetant, on imagine son aimé, le nez en l’air, on peut se détacher de notre amarrage inconfortable. L’océan, lui, nous renvoie à notre mélancolie, notre solitude. Personnellement c’est un lieu, un élément, que je ne voudrais arpenter que le plus seul du monde, l’océan n’est pas un espace qui attache à l’autre, c’est un élément qui nous absorbe individuellement, pourquoi ? Alors que l’air lui, semble nous rattacher à tous ceux qui nous manque, comme s’ils étaient de l’autre côté du ciel. Je décide que cette feuille est un morceau d’air, un morceau d’air que l’on a touché tous les deux, que tu as touché la première et que tu seras la dernière à toucher.
    Je pensais à la respiration il y a peu et je me disais qu’on partage tous un oxygène commun. Est-ce qu’avec l’aide des vents, se peut-il qu’on ait déjà, depuis un mois, partagé le même litre d’air ? Victor Hugo parle de poissons de l’air, si légers qu’ils en seraient invisibles, comme des méduses ou des poulpes plus légers que l’air et qui vivraient tout à fait tranquilles, ininquiétés. Pour un condor ou un goéland, 300 kilomètres ne représentent rien, c’est un territoire à l’échelle de leurs ailes, ils y trouvent de quoi nourrir leur appétit et celui de leurs petits.
    J’aime à penser que ces lettres sont de l’air solidifié que l’on se donne chacun pour respirer, comme si l’on partageait la même bouteille d’oxygène.
Respire bien. À toi. Julien