Mardi 31 juillet 2012 – Ramonville
Mon cher
Julien,
Pour commencer, j’ai écrit dans ma
dernière lettre que j’avais commencé à lire ton mémoire et la
lettre que j’ai reçue ce matin est remplie d’entrelacement...
C’est
vrai que je ne me sens jamais aussi proche de toi (quand tu es
éloigné) que lorsque je suis en train de t’écrire. Ces lignes
contiennent ta réponse en puissance, non seulement parce que nous
partageons des idées mais aussi dans la place que je t’offre avec
les pages blanches (oui, je parle beaucoup de ça en ce moment).
C’est moi qui dirige alors ? Moi qui choisi l’étendue de ton
espace d’expression ? C’est moi qui fait la place que tu prend.
Et si je cessais d’envoyer des pages blanches ? Non, je ne ferais
pas ça car j’aime qu’une enveloppe (mon
enveloppe) contienne trois pages à chaque fois. Toutes les pages
viennent de moi, elles me reviennent toutes (enfin sauf celles que tu
gardes où se trouve mon écriture, mais ce ne sont pas les plus
nombreuses). C’est comme si j’avais déjà écris dessus à
l’encre invisible (sympathique !) et que par le procédé de son
voyage, la lettre me revenait révélée. Ou comme si je la regardais
dans un miroir et qu’y apparaissait soudain l’écriture de mon
double...
un gaucher.
On dirait qu’on est
vraiment la même personne au moment où on écrit sur la même
feuille, à ce moment là on peut être encore plus proche que l’un
en face de l’autre. La page blanche sur laquelle nous couchons nos
pensées et un lieu de notre intimité, comme un lit partagé.
Désolée pour le petit jeu de mot pas terrible, mais au-delà de ça,
c’est vrai qu’on vient dans le lit pour faire tous les deux la
même chose (dormir) et qu’on y prend le même espace-temps sans
pourtant être vraiment ensemble...
Comme
tu le vois j’ai commencé une seconde page, je repousse ton
expression potentielle à une seule... Je parle par-dessus toi, ou je
te coupe la parole. J’ai l’impression qu’on entretient plus le
même statut d’égalité depuis que tu as introduit la deuxième
page dans notre protocole d’écriture. Et en même temps, le fait
que tu remplisses les deux pages que je t’envoie me plaît car, en
ceci, le poids (20g) de mes enveloppe contient toujours le poids de
nos deux écritures sans que l’une ou l’autre se trouve
prégnante. Ça
me rappelle un peu certaines œuvres de Gonzales-Torres à propos du
poids de deux êtres ensemble qui n’en forment qu’un. Je parle de
cet artiste à cause d’un certain goût doux-amer qu’il m’évoque,
ça parle de l’amour et ça met mal-à-l’aise comme si on
voudrait parfois pouvoir prendre de la distance avec le corps de
l’autre. Comme s’il était trop dangereux de se fondre totalement
avec l’autre, de devenir l’autre. La distance à parfois besoin
d’être aussi au niveau de l’esprit. Je ne sais pas trop bien ce
que je veux dire, je n’ai rien contre l’idée de ne faire qu’un
avec toi, de te porter-sur-moi ou de partager avec toi le «terrain
d’entente», d’attente ou d’attention qu’est cette page
blanche qui suit. Mais c’est étonnant que cette intense (et
d’ailleurs envoûtante) proximité qui surgit entre nous au moment
de l’écriture ou de la lecture se produise justement lorsque nos
deux corps sont à ce point éloignés. En fait, je pense que je fais
une erreur en envisageant l’éloignement corporel comme une
distance. Finalement, écrire une lettre, c’est très physique et
c’est même peut-être (sans aucun doute) érotique. J’aimerais
essayer de penser la corporéité de nos lettres, nos lettres
manuscrites, à la main... à deux mains.
Toi, Julien