Léon
04/08/2012
Leslie,
J’aimerais repréciser ce que j’entends
par négligence. En effet il ne faut pas ignorer la qualité de ce
qu’on utilise, tu as raison, sinon nous tendons vers l’hypocondrie,
que je comprends mieux quand tu en parles ici, “l’ajout abusif de
sens”, chose dont je suis souvent victime, qui va de paire avec ma
paranoïa et une dilapidation d’idées, justes ou erronées.
Arriver à définir ce que l’on fait, au premier degré, puis, la
part d’interprétation liée à l’expérience et les liens que
nous tissons, qu’ils soient comme un supplément ou une ouverture.
Puis garder pour soi le “délire” qu’on s’en fait, qui lui
peut devenir la source des réalisations qui suivront, mais qui en
l’état n’est pas encore communicable.
Quand je dis que ce support commun,
“à-portée-de-la-main”, me permet une négligence, c’est
davantage pour signifier que je ne plie pas sous le poids de son
autorité, je garde en tête son histoire, sa fonction de papier
standardisé, mais il me permet un lâcher prise, lâcher dont, je le
pense, nous devrions être capables même sur le plus précieux des
marbres. Avoir l’attention et l’intention aiguisées, comme quand
je conserve des SMS pour en faire un livre, car la négligence au
final permet de rendre son importance au plus pauvre des matériaux
et de saisir une re-lectio
à propos de tout, et de nous amener à faire des choix encore plus
drastiques. La négligence serait comme un état de repli, un abri
duquel tout passe sous notre regard jusqu’au moment où la
nécessité de la saisie se fait sentir. Un peu comme un serpent se
permet la patience et la discrétion avant de se déplier sur la
malheureuse souris. Négliger serait en fait faire acte de
considération, mais pas une considération déjà établie mais bien
celle que l’on décide d’y mettre. (≠
du complexe de culture).
Hier soir je me suis endormi en écoutant une émission
sur Resnikov (je crois que c’est ça) et la journaliste parlait de
“poésie objective”... Faire de la poésie avec les documents du
réel, sortir de la prose pour aller vers l’écrit en utilisant le
réel, et ce qui, aux yeux de la plupart, ne possède pas les
qualités de la poésie. Ça m’étonnait, car depuis Cage, Fluxus,
Art&Language ou tout autre encore, le réel, le présent, le
banal... est de l’art. Toujours est-il que, ce projet est dans mon
état de veille reptilien, entendre le terme d’”objectivité” à
propos de l’écrit m’a secoué, je cherchais ce terme depuis des
mois. C’est là que je m’aperçois que j’ai un gros retard à
rattraper avec la poésie actuelle. Et je suis doublement heureux,
car ça me semble apporté de l’eau à notre moulin/correspondance.
En effet, l’ajout d’esthétique au
sens large, comme l’ajout de sens, peut être lui aussi abusif et
j’ai toujours eu de la difficulté à ajouter de l’esthétique
car j’ai du mal à comprendre, encore, ses enjeux. Pour ça que
faire de l’art avec et à partir du réel m’a semblé plus
facile, du moins à l’école, en tout cas plus sensé, plus juste,
moins aporétique. Mais l’expérience de cette correspondance, du
“changement” de ma manière d’écrire et aussi la réflexion à
la construction d’un drone me donne des prétextes, des terrains
sur lesquels expérimenter une esthétique qui naît de contraintes
fortes, claires en tout cas. Il est possible que je revienne vers la
sculpture car je crois que toute cette année à m’en être échappé
m’a permis d’élaborer un nouveau regard, me permettant de saisir
les nécessités et les contraintes avant le simple désir. En fait,
j’éduque mon désir à trouver son terrain d’expression.
Oscillation entre veille et saisie, encore l’image du serpent qui
revient. Nous sommes des prédateurs en quête d’art, et ici, nous
nous entraînons pour le moment venu.
À
toi, Julien