18 nov. 2012

31/63 et 32/63

Léon
04/08/2012

     Leslie,
     J’aimerais repréciser ce que j’entends par négligence. En effet il ne faut pas ignorer la qualité de ce qu’on utilise, tu as raison, sinon nous tendons vers l’hypocondrie, que je comprends mieux quand tu en parles ici, “l’ajout abusif de sens”, chose dont je suis souvent victime, qui va de paire avec ma paranoïa et une dilapidation d’idées, justes ou erronées. Arriver à définir ce que l’on fait, au premier degré, puis, la part d’interprétation liée à l’expérience et les liens que nous tissons, qu’ils soient comme un supplément ou une ouverture. Puis garder pour soi le “délire” qu’on s’en fait, qui lui peut devenir la source des réalisations qui suivront, mais qui en l’état n’est pas encore communicable.
Quand je dis que ce support commun, “à-portée-de-la-main”, me permet une négligence, c’est davantage pour signifier que je ne plie pas sous le poids de son autorité, je garde en tête son histoire, sa fonction de papier standardisé, mais il me permet un lâcher prise, lâcher dont, je le pense, nous devrions être capables même sur le plus précieux des marbres. Avoir l’attention et l’intention aiguisées, comme quand je conserve des SMS pour en faire un livre, car la négligence au final permet de rendre son importance au plus pauvre des matériaux et de saisir une re-lectio à propos de tout, et de nous amener à faire des choix encore plus drastiques. La négligence serait comme un état de repli, un abri duquel tout passe sous notre regard jusqu’au moment où la nécessité de la saisie se fait sentir. Un peu comme un serpent se permet la patience et la discrétion avant de se déplier sur la malheureuse souris. Négliger serait en fait faire acte de considération, mais pas une considération déjà établie mais bien celle que l’on décide d’y mettre. ( du complexe de culture).
Hier soir je me suis endormi en écoutant une émission sur Resnikov (je crois que c’est ça) et la journaliste parlait de “poésie objective”... Faire de la poésie avec les documents du réel, sortir de la prose pour aller vers l’écrit en utilisant le réel, et ce qui, aux yeux de la plupart, ne possède pas les qualités de la poésie. Ça m’étonnait, car depuis Cage, Fluxus, Art&Language ou tout autre encore, le réel, le présent, le banal... est de l’art. Toujours est-il que, ce projet est dans mon état de veille reptilien, entendre le terme d’”objectivité” à propos de l’écrit m’a secoué, je cherchais ce terme depuis des mois. C’est là que je m’aperçois que j’ai un gros retard à rattraper avec la poésie actuelle. Et je suis doublement heureux, car ça me semble apporté de l’eau à notre moulin/correspondance.
En effet, l’ajout d’esthétique au sens large, comme l’ajout de sens, peut être lui aussi abusif et j’ai toujours eu de la difficulté à ajouter de l’esthétique car j’ai du mal à comprendre, encore, ses enjeux. Pour ça que faire de l’art avec et à partir du réel m’a semblé plus facile, du moins à l’école, en tout cas plus sensé, plus juste, moins aporétique. Mais l’expérience de cette correspondance, du “changement” de ma manière d’écrire et aussi la réflexion à la construction d’un drone me donne des prétextes, des terrains sur lesquels expérimenter une esthétique qui naît de contraintes fortes, claires en tout cas. Il est possible que je revienne vers la sculpture car je crois que toute cette année à m’en être échappé m’a permis d’élaborer un nouveau regard, me permettant de saisir les nécessités et les contraintes avant le simple désir. En fait, j’éduque mon désir à trouver son terrain d’expression. Oscillation entre veille et saisie, encore l’image du serpent qui revient. Nous sommes des prédateurs en quête d’art, et ici, nous nous entraînons pour le moment venu.
À toi, Julien