18 nov. 2012

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Mercredi 08 août 2012 – Ramonville

     Julien,

     Le blanc est une puissance latente et non révélée. Ce sont les marges qui permettent aux pages de tenir ensemble. J’aime bien réfléchir à propos du papier car il matérialise cette potentialité du blanc. Le blanc est le mouvement indicible qui relie les choses entre elles, comme une sorte de fluide. Le blanc c’est le temps soutenu d’un silence, l’espace tendu d’une attente. La tension d’une présence sous-jacente que l’on a ni besoin de voir, ni besoin d’entendre. C’est tout ce qui n’apparaît pas, qui n’a pas besoin d’apparaître et ne se manifeste que dans l’opposition d’une émergence quelconque, une page écrite, une surface dessinée. Quelque part le blanc est une saturation tacite. Plus nos choix de produire sont réduits, plus il prend d’importance. Mais il reste une puissance, tout autant qu’un objet manipulable, même si c’est juste pour le laisser tranquille. Pour moi, le blanc est le contraire du non-agir, il revient à un laisser-faire, il est instable comme une eau ou comme l’air et reste pourtant aussi palpable qu’un objet rempli. Le blanc est un déplacement continu qu’il nous appartient de ralentir ou d’étirer par la seule attention qu’on lui porte.
On pourrait presque s’envoyer trois pages non remplies chaque jour, juste pour mesurer le sillon de blanc qui nous sépare (ou alors qui nous espace). Nos mots tracés sur le papier sont comme des trous. C’est le blanc qui est déjà-là, nos ajouts ne sont peut-être alors que des soustractions.
Il faudrait presque que je t’écrive en réserve, blancs sur noir ou plutôt noir autour du blanc (On Kawara !), comme les étoiles dans la nuit. J’ai lu quelque chose à propos de ça, malheureusement impossible de le retrouver. Je vais le chercher.
À toi, Leslie.