Mercredi 08 août 2012 – Ramonville
Julien,
Le blanc est une puissance latente et non révélée. Ce sont les marges qui permettent aux pages de tenir
ensemble. J’aime bien réfléchir à propos du papier car il
matérialise cette potentialité du blanc. Le blanc est le mouvement
indicible qui relie les choses entre elles, comme une sorte de
fluide. Le blanc c’est le temps soutenu d’un silence, l’espace
tendu d’une attente. La tension d’une présence sous-jacente que
l’on a ni besoin de voir, ni besoin d’entendre. C’est tout ce
qui n’apparaît pas, qui n’a pas besoin d’apparaître et ne se
manifeste que dans l’opposition d’une émergence quelconque, une
page écrite, une surface dessinée. Quelque part le blanc est une
saturation tacite. Plus nos choix de produire sont réduits, plus il
prend d’importance. Mais il reste une puissance, tout autant qu’un
objet manipulable, même si c’est juste pour le laisser tranquille.
Pour moi, le blanc est le contraire du non-agir, il revient à un
laisser-faire, il est instable comme une eau ou comme l’air et
reste pourtant aussi palpable qu’un objet rempli. Le blanc est un
déplacement continu qu’il nous appartient de ralentir ou d’étirer
par la seule attention qu’on lui porte.
On pourrait presque s’envoyer trois pages non remplies
chaque jour, juste pour mesurer le sillon de blanc qui nous sépare
(ou alors qui nous espace). Nos mots tracés sur le papier sont comme
des trous. C’est le blanc qui est déjà-là, nos ajouts ne sont
peut-être alors que des soustractions.
Il faudrait presque que je t’écrive en réserve, blancs
sur noir ou plutôt noir autour du blanc (On Kawara !), comme les
étoiles dans la nuit. J’ai lu quelque chose à propos de ça,
malheureusement impossible de le retrouver. Je vais le chercher.
À toi, Leslie.