18 nov. 2012

52/63, 53/63 et 54/63

Dimanche 26 août 2012 – Ramonville

     Julien,

Il y a déjà un certain temps que je n’ai plus respecté ma promesse d’écrire tous les jours. La souplesse d’écriture que j’avais pu acquérir au cours de notre projet semble déjà s’être un peu rouillée. Ce qui me déconcerte mais, en même temps, me fait me rendre compte de l’importance d’une rigueur dans n’importe quel entraînement. C’est bien parce que j’avais arrêté d’écrire que je saisie ce que l’écriture m’avait apporté. C’est difficile d’être constant car on se laisse facilement happer par des sortes de phases. Je traverse en l’ occurrence une mauvaise phase dans laquelle il m’était devenu presque impossible d’écrire. Notre projet devait s’étendre sur les deux mois d’été et devait durer sur ce support tout le long de la durée de notre “séparation”. Mais même une durée pré-définie, décidée à l’avance comme un cadre est soumise à des chaos, des impossibilités et des doutes. La durée n’est pas lisse, elle est rugueuse comme tu le sais ! Elle se subdivise alors qu’on la parcoure. Je ne vis pas du tout notre projet de la même façon qu’au début. Plus précisément, je vis différemment le poids de la distance. Si la page blanche était comme un écran partagé, elle ne me renvoie plus désormais qu’à ma propre difficulté. Évidemment ça ne me viendrait pas à l’idée de cesser nos échanges, même si je les ai un peu négligés depuis un certain temps. J’ai ressenti ce temps d’incapacité comme la plus cruelle immobilité, un enfoncement, un vide écrasant, étouffant. J’ai également été mise à l’épreuve. Je sais qu’il faut que les choses changent et pour cela, il faut commencer par agir différemment. Je voudrais pouvoir dépasser les mots que j’emploie habituellement et cela sans renoncer aux questionnements qui m’animent. Le poids des mots (et l’expression prend tout son sens) semble m’empêcher de bouger. Ce qui est paradoxalement rassurant, c’est que je suis coutumière de cette sensation. Elle est liée à tout ce qui concerne le délestement. Je sais que je dois prendre une direction différente, seule façon pour moi de poursuivre mes recherches dans ce qui est déjà là.
Bien souvent, quand je laisse quelque chose derrière, pensant l’oublier, je réalise bien plus tard, par une sorte de surgissement, que ça ne m’a jamais quittée. Comme s’il fallait des périodes de détresse et de doute pour consolider ce qui compte vraiment pour soi. Peut-être faut-il alors se laisser aller à ces sortes de phases, comme on se laisse aspirer par le rouleau de la vague pour pouvoir regagner la surface. Laisser venir à soi. Se rendre disponible en se vidant. Comme je l’ai dit, je suis habituée à fonctionner par périodes plus ou moins denses, plus ou moins anxieuses. Mais désormais, quelque chose à changer dans ma manière de fonctionner. Maintenant je ne suis plus seule, nous sommes deux sur la page blanche. C’est toujours moi qui écris, comme dans mes cahiers, ce n’est pas un être qui serait toi et moi à la fois, mais ce qui importe, c’est que ces lignes te soient adressées, qu’elles te soient livrées comme telles. C’est ainsi que je souhaite fonctionner dorénavant. Je ne considère pas notre projet (ou nos projets) comme un secours, comme une aide pour faire les choses. Je parlerais éventuellement d’”appui” mais ce n’est même pas vraiment ça qui importe.
     Il y a le contenu et le contenant, il y a les marges et l’intérieur. Le blanc, le contre-blanc. Le noir et la réserve. Et aucun n’existe si l’autre est absent. Rien ne doit se séparer. Les deux doivent se contenir l’un l’autre. La marge parle du contenu et le contenu parle de la marge. Mais ils sont la même chose car ils existent en même temps. Rien de très nouveau dans ce que je viens de dire. Sauf que maintenant, je nous envisage tous les deux comme assimilables à cette dualité marge/contenu. Et des recherches qui concernent le blanc d’un papier, ou la densité d’un remplissage sont comparables à ce que nous avons nous-mêmes effectué en échangeant ces lettres. Alors, je voudrais étudier tout ça de ce point de vue, de ce point de vue humain, émotionnel, corporel. Mais je n’écrirai pas davantage à ce propos pour le moment, car je souhaite laisser respirer l’idée (mon envie), la soumettre à l’épreuve du silence et du rien qui sont comme mes assistants familiers.

     Je regagne en souplesse au fil des ces lignes, si bien que je ne comprend déjà presque plus comment je m’étais laissée submergée par l’immobilité. C’est un mystère pour moi que d’observer mes propres capacités et mes efforts plus ou moins concluant pour essayer de les maîtriser. Quand peut-on dire que les certitudes deviennent des doutes, et quand les doutes laissent place aux certitudes ?
Il y a un mouvement là-dedans, un mouvement qui n’a rien d’une grille, une vague.

Ne jamais d’arrêter, ou plutôt ne jamais considéré l’arrêt comme tel. Même nos peurs font partie du chemin. J’ai toujours pensé qu’il fallait quelque chose à combattre. Quelque chose contre lequel venir s’éprouver, se heurter et même râler ! Un jour, peut-être, j’essaierai de justifier par écrit pourquoi j’aime me fabriquer des ennemis. Ce serait sûrement une recherche intéressante envers moi-même.

Merci d’avoir partagé cette page avec moi, d’avoir parcouru ce lieu. Tu es là même avant de me lire. Tu es toujours déjà-là.
À toi, Leslie.