Dimanche 26 août 2012 – Ramonville
Julien,
Il y a déjà un certain temps que je n’ai plus respecté
ma promesse d’écrire tous les jours. La souplesse d’écriture
que j’avais pu acquérir au cours de notre projet semble déjà
s’être un peu rouillée. Ce qui me déconcerte mais, en même
temps, me fait me rendre compte de l’importance d’une rigueur
dans n’importe quel entraînement. C’est bien parce que j’avais
arrêté d’écrire que je saisie ce que l’écriture m’avait
apporté. C’est difficile d’être constant car on se laisse
facilement happer par des sortes de phases. Je traverse en
l’ occurrence une mauvaise phase dans laquelle il m’était devenu
presque impossible d’écrire. Notre projet devait s’étendre sur
les deux mois d’été et devait durer sur ce support tout le long
de la durée de notre “séparation”. Mais même une durée
pré-définie, décidée à l’avance comme un cadre est soumise à
des chaos, des impossibilités et des doutes. La durée n’est pas
lisse, elle est rugueuse comme tu le sais ! Elle se subdivise alors
qu’on la parcoure. Je ne vis pas du tout notre projet de la même
façon qu’au début. Plus précisément, je vis différemment le
poids de la distance. Si la page blanche était comme un écran
partagé, elle ne me renvoie plus désormais qu’à ma propre
difficulté. Évidemment ça ne me viendrait pas à l’idée de
cesser nos échanges, même si je les ai un peu négligés depuis un
certain temps. J’ai ressenti ce temps d’incapacité comme la plus
cruelle immobilité, un enfoncement, un vide écrasant, étouffant.
J’ai également été mise à l’épreuve. Je sais qu’il faut
que les choses changent et pour cela, il faut commencer par agir
différemment. Je voudrais pouvoir dépasser les mots que j’emploie
habituellement et cela sans renoncer aux questionnements qui
m’animent. Le poids des mots (et l’expression prend tout son
sens) semble m’empêcher de bouger. Ce qui est paradoxalement
rassurant, c’est que je suis coutumière de cette sensation. Elle
est liée à tout ce qui concerne le délestement. Je sais que je
dois prendre une direction différente, seule façon pour moi de
poursuivre mes recherches dans ce qui est déjà là.
Bien souvent, quand je laisse quelque chose derrière,
pensant l’oublier, je réalise bien plus tard, par une sorte de
surgissement, que ça ne m’a jamais quittée. Comme s’il fallait
des périodes de détresse et de doute pour consolider ce qui compte
vraiment pour soi. Peut-être faut-il alors se laisser aller à ces
sortes de phases, comme on se laisse aspirer par le rouleau de la
vague pour pouvoir regagner la surface. Laisser venir à soi. Se
rendre disponible en se vidant. Comme je l’ai dit, je suis habituée
à fonctionner par périodes plus ou moins denses, plus ou moins
anxieuses. Mais désormais, quelque chose à changer dans ma manière
de fonctionner. Maintenant je ne suis plus seule, nous sommes deux
sur la page blanche. C’est toujours moi qui écris, comme dans mes
cahiers, ce n’est pas un être qui serait toi et moi à la fois,
mais ce qui importe, c’est que ces lignes te soient adressées,
qu’elles te soient livrées comme telles. C’est ainsi que je
souhaite fonctionner dorénavant. Je ne considère pas notre projet
(ou nos projets) comme un secours, comme une aide pour faire les
choses. Je parlerais éventuellement d’”appui” mais ce n’est
même pas vraiment ça qui importe.
Il y a le contenu et le contenant, il y a
les marges et l’intérieur. Le blanc, le contre-blanc. Le noir et
la réserve. Et aucun n’existe si l’autre est absent. Rien ne
doit se séparer. Les deux doivent se contenir l’un l’autre. La
marge parle du contenu et le contenu parle de la marge. Mais ils sont
la même chose car ils existent en même temps. Rien de très nouveau
dans ce que je viens de dire. Sauf que maintenant, je nous envisage
tous les deux comme assimilables à cette dualité marge/contenu. Et
des recherches qui concernent le blanc d’un papier, ou la densité
d’un remplissage sont comparables à ce que nous avons nous-mêmes
effectué en échangeant ces lettres. Alors, je voudrais étudier
tout ça de ce point de vue, de ce point de vue humain, émotionnel,
corporel. Mais je n’écrirai pas davantage à ce propos pour le
moment, car je souhaite laisser respirer l’idée (mon envie), la
soumettre à l’épreuve du silence et du rien qui sont comme mes
assistants familiers.
Je regagne en souplesse au fil des ces
lignes, si bien que je ne comprend déjà presque plus comment je
m’étais laissée submergée par l’immobilité. C’est un
mystère pour moi que d’observer mes propres capacités et mes
efforts plus ou moins concluant pour essayer de les maîtriser. Quand
peut-on dire que les certitudes deviennent des doutes, et quand les
doutes laissent place aux certitudes ?
Il y a un mouvement là-dedans, un mouvement qui n’a
rien d’une grille, une vague.
Ne jamais d’arrêter, ou plutôt ne jamais considéré
l’arrêt comme tel. Même nos peurs font partie du chemin. J’ai
toujours pensé qu’il fallait quelque chose à combattre. Quelque
chose contre lequel venir s’éprouver, se heurter et même râler !
Un jour, peut-être, j’essaierai de justifier par écrit pourquoi
j’aime me fabriquer des ennemis. Ce serait sûrement une recherche
intéressante envers moi-même.
Merci d’avoir partagé cette page avec moi, d’avoir
parcouru ce lieu. Tu es là même avant de me lire. Tu es toujours
déjà-là.
À
toi, Leslie.