07/07/2012, 23h21, Léon
Leslie,
Je termine mon service et je trouve ta lettre, enfin, et
elle m’apporte une bouffée d’air. C’est une excellente
journée, j’ai nagé, pédalé, travaillé, vu Ludo et là je
répond à ta lettre. Il a fait beau sauf quelques gouttes en fin
d’après-midi.
En allant à Moliets, en me baignant puis en contemplant
l’océan et le ciel, il n’y avait pas de nuage, sauf un, ce soir,
cumulus, que je t’aurais bien photographié, il était parfaitement
dessiné. Mais donc, la plage, j’ai redécouvert ce sentiment que
je retrouve pour la 3eme fois, un sentiment océanique peut-être, en
tout cas une émotion très forte, spirituelle peut-être, que me
procure cette nature puissante qu’est l’océan, l’immensité de
l’horizon, les plantes de sable aussi. Je me sens apaisé d’être
face au fort, au puissant, à une sorte d’éternité peut-être,
cela fait rejaillir en moi, chaque fois, un sentiment religieux. [ je
viens de te parler au téléphone]. D’avoir ce contact avec l’eau,
d’être à moitié allongé dans le sable, d’être couvert de
sel, de sable et d’être écrasé par le soleil, ça me propulse
dans la nuit des temps, la nuit de l’histoire. Être “ presque”
comme le premier homme à regarder ce qui a toujours ( j’aurais dû
laisser l’accent sur le “à”, pour signifier la condition
invariable de cette nature) été. Peut-être que la première année
où j’ai lu “L’homme de Nazareth” a conditionné mon
appréhension de ce lieu, lui donnant un goût de libération
physique ( travail-sport-fête-baignade-alcool) et d’ascèse (
travail-peu d’objets personnels-lecture-écriture-contemplation).
D’ailleurs, je suis en train de lire Agamben, “Le temps qui
reste”, à propos de Saint Paul et de ses épitres. C’est
parfait, j’ai bien fait de le prendre.
Je voulais aussi te proposer un petit exercice, histoire
de prendre du recul face au quotidien. J’aurais souhaité que
chacun, chaque semaine, choisissions un geste, un mouvement, une
“micro” activité... Quelque chose d’infime et que l’on fait
tous les jours et sur lequel nous pourrions concentrer notre
attention. L’idée serait d’y être suffisamment attentif pour
pouvoir le décomposer, ressentir toute l’implication de ce geste,
le sentiment qu’il nous procure, en trouver une structure... Je ne
suis pas obligatoirement pour écrire à propos, mais en tout cas, il
faudrait que chacun trouve une méthode rituelle pour être sûr d’y
penser, en tout cas, le garder en mémoire ! J’aimerais réussir à
démystifier, dévoiler cet “humble” quotidien qui part chaque
seconde en “poussière”, en sortant de l’inconscient pour aller
vers l’examen de nos habitudes les plus ordinaires et les plus
récurrentes, un état de base. Il ne faut pas que ce soit quelque
chose de difficile ni de long, il faut que ça puisse devenir un
automatisme.
Daniel Pennac vient de publier “Journal d’un corps”,
peut-être devrais-je le lire.
Pour ce qui est d’ici, cet espace-temps vide et à
remplir, je me sens vite encombré par les objets, j’écris entre
un livre et une bière, vraiment entre, mon cahier est posé sur
l’évier à droite de mon bureau ( je peux au moins me brosser les
dents dans la chambre). Mais c’est vrai que le temps est à
ménager, et j’ai hâte aussi, de commencer à maîtriser des
gestes et des mouvements, je me sens encore maladroit, même à la
plonge. En voyant le pizzaïolo peser ses portions de pâte, je me
disais que je ferais bien un moulage de cette pâte qu’il a extirpé
d’un plus gros morceau. Un geste rapide, non pensé, si ce n’est
une estimation rapide du poids, et qui donne chaque fois une
empreinte corporelle au travail face à une matière première.
À
très vite, Julien