Lundi 20 août 2012 – Roquebrune
Julien,
Si je devais te montrer comment c’est
ici, il faudrait qu’on puisse y arriver le matin en étant des
enfants et y grandir jusqu’au soir. Parce que je ne pourrais pas
te faire voir les mêmes dimensions que j’y perçois, moi qui
l’explore depuis toujours dans les moindres détails. Ici, mon
attention ne s’est jamais assoupie et pourtant c’est le lieu qui
m’est le plus familier, à la fois de manière individuelle et
aussi à travers l’expérience collective de tout ceux qui y vivent
ou qui y ont vécu. Jamais je ne pourrais te montrer combien cet
endroit est vaste et dense, tu le trouverais sûrement restreint.
Souvent les endroits rapetissent lorsque grandit. Pour moi, plus je
le connais, plus il devient immense car c’est comme si je pouvais y
percevoir chaque époque, chaque saison, chaque évènement
simultanément. Je n’ai même pas besoin que l’espace soit
réellement grand pour y voir à l’infini. Quand je regarde la
garenne qui est devant la maison, je peux apercevoir le champ qui est
derrière et il devient difficile d’imaginer qu’il y a quelques
années, nous étions capables de l’explorer toute la journée
jusqu’à l’épuisement comme la plus épaisse des forêts. On
aurait même pu s’y perdre. Comment pourrais-je te montrer cet
endroit comme je le connais pour y avoir grandi ? Je ne crois pas que
raconter des anecdotes et des souvenirs pourrait suffir à décrire
ce qui s’est passé pour moi ici. Comment t’expliquer que malgré
toute ma connaissance du lieu, les mystères de l’enfance ne s’y
sont jamais effacés. Les endroits dangereux sont toujours dangereux
même si je n’ai plus cinq ans, les endroits pour jouer servent
toujours à ça même s’ils ne m’amusent plus. C’est moins un
attachement au lieu lui-même qu’aux évènement qui ont eu lieu
ici.
Le même jour-de-retour à Ramonville (encore un lieu
familier) : Je sais pas pour toi mais moi je commence à ressentir
une petite pointe d’angoisse à l’idée qu’on ne retournera pas
aux Beaux-Arts à la rentrée. C’est de l’angoisse car nous
allons vers l’inconnu, hors de notre carcan habituel mais aussi
une hâte car cet inconnu, nous allons devoir le construire
nous-mêmes sans qu’on nous emmerde. J’ai déjà l’impression
d’avoir bouclé mon emploi du temps de l’année prochaine. En
espérant que vous me laisserez séjourner le plus longtemps possible
quand vous serez au loin ! J’ai hâte d’enclencher les projets
les uns après les autres et ce qui me motive c’est de pouvoir les
mettre en œuvre avec toi comme co-équipier et même avec toi comme
ami, si tu es d’accord.
À
toi mon cher, Leslie.